par Catherine RENARD, documentaliste
Depuis bientôt 15 ans, la loi du 13 mars 2000 reconnait la valeur probante à l’écrit électronique. L’étude de l’application de cette législation à travers la jurisprudence s’y référant a été l’objet d’un dossier présenté dans le cadre du certificat CS32 (2013). La synthèse de ce dernier donne une vue d’ensemble du contexte juridique dans lequel le document électronique est invoqué et identifie les conditions de sa reconnaissance comme preuve.
Le corpus de jurisprudence étudié a été élaboré à partir de l’interrogation de quatre bases de données juridiques (Dalloz, Lamyline, Jurisclasseur et Légifrance). En ont été exclues la jurisprudence européenne et les décisions concernant l’article 1316-4 relatif à la signature électronique. Par ailleurs, nous nous sommes limités aux juridictions de second degré et aux juridictions suprêmes. Notre corpus comprenant 34 décisions a été étudié au travers de deux typologies.
Le paysage juridique français de la jurisprudence relative preuve électronique
La première typologie a pour objectif, la présentation de l’environnement juridique des décisions. Elle retient comme critères : la juridiction concernée, la sphère du conflit, l’admission ou le rejet du document électronique comme preuve.
La nature de la juridiction
Le premier élément de la typologie retenu est la juridiction dont émane la décision. Nous remarquons une prédominance de la jurisprudence civile ; de fait, le droit administratif n’est pas lié aux dispositions du Code civil concernant la preuve électronique. Pour notre étude, la totalité des décisions considérées comme pertinentes proviennent des cours d’appel et de la cour de cassation.
La sphère du conflit concerné
Quelle est la nature des parties concernées par le conflit ? Pour y répondre, nous avons établi cinq types de relations : entreprise/entreprise, entreprise/individu, entreprise/institution, individu/individu, individu/institution. Il apparait clairement que la majorité des conflits où le document électronique intervient comme preuve concerne l’entreprise ; en effet, dix décisions ont comme parties deux entreprises, neuf autres mettent en cause une entreprise et une institution et enfin, huit conflits opposent une entreprise et un individu, le plus souvent un salarié de cette dernière.
Critères d’admissibilité de la preuve électronique
Le dernier élément de cette typologie s’intéresse à l’admission ou au rejet du document électronique comme preuve. Dans quatorze cas, ce dernier est admis comme élément de preuve. Dans le cas contraire, les raisons évoquées pour le rejet sont : les courriels modifiés, le mauvais nommage des fichiers, l’absence du document attaché initialement, la difficulté d’identifier l’auteur, l’incertitude de la date, la copie papier du document électronique non conforme, la copie d’écran du document électronique invoqué. Mais, par ailleurs, la jurisprudence de la cour de cassation, de par sa fonction, nous renseigne peu sur les motifs réels du rejet de la preuve ; en effet, dans de nombreux cas, elle invoque un défaut de base légale dans la décision de la cour d’appel et non, la nature ou la forme du document électronique produit [Cour de cassation, 1ère chambre civile, 30 septembre 2010, N° 09-68.555, 803].
En conclusion, cette première analyse montre que la preuve électronique intervient le plus souvent dans des conflits de droit privé dans lesquels l’entreprise est partie.
La nature du document électronique
La seconde typologie s’intéresse en particulier à la nature du document électronique invoqué comme preuve. Les deux critères sont le type de document et la présence ou l’absence d’un élément inscrit dans l’alinéa 1 de l’article 1316 du Code civil (auteur, conservation, intégrité) auxquels nous avons ajouté la date.
Le courriel est cité à dix-huit reprises comme élément de preuve ; si le courriel est souvent admis comme preuve de fait juridique, sa force probante est limitée[Cour de cassation,chambre sociale., 25 sept. 2013, n° 11-25.884]. Il est, dans tous les cas, considéré d’un point de vue juridique comme une preuve imparfaite.
Le contrat en tant que document n’apparait pas directement dans le corpus mais uniquement comme document référent lors d’échange de courriels ou lors d’avenant ou autre modification du contrat.
Parmi les caractéristiques du document électronique précédemment citées, l’identification de l’auteur, l’intégrité et la date sont les plus souvent évoqués contrairement à la conservation qui ne l’est qu’une fois.
Dans le cadre de cette typologie, nous avions envisagé d’étudier les décisions sous l’angle des 5 écueils de l’archivage identifiés par Marie-Anne Chabin : le document non archivé, le document illisible ou introuvable, le document modifié, le document détruit trop tôt, le document détruit trop tard. Cet élément d’analyse ne s’est pas révélé pertinent pour notre étude ; en effet, la plupart des décisions ne vont pas à ce niveau de précision.
En conclusion, cette étude nous révèle que le document électronique comme preuve intervient principalement dans des litiges impliquant des entreprises dans le cadre de leurs relations commerciales (entreprise–entreprise) mais également dans le cadre de leurs rapports avec leur environnement social (individu, institution). Les exigences en matière d’admission de la preuve ne sont pas strictes et figées et peuvent varier en fonction de la juridiction. Enfin, le courriel est le document électronique le plus souvent produit comme élément de preuve de même les notions d’auteur et de date dominent dans les motivations d’admissibilité ou de rejet du document électronique comme preuve.
Il semble que l’écrit électronique reste un mode de preuve imparfaite dans les matières où la preuve est libre et dont la valeur probante peut être très variable.