« Nous sommes tout le temps en train de chercher des infos »,
constate le DRH. Où est le dernier procès-verbal du CHSCT ? Les diplômes sont-ils tous dans le dossier du personnel ? Quelle est la version définitive de ce contrat avec cet organisme de formation ? Les questions récurrentes agacent. S’en suivent les constats déplaisants : « les noms des fichiers des diagnostics amiante en réseau sont incompréhensibles ! La mise à jour du Document Unique d’évaluation des risques vous prend des heures ! ». Les inquiétudes et les vraies interrogations surgissent : en cas de contrôle de la CNIL, avons-nous une procédure de gestion et de destruction des données à caractère personnel ? Quelle sécurité et quelle traçabilité pour les informations confidentielles ? Doit-on informer un nouveau manager de l’ensemble des faits d’une carrière de ses subordonnés ? Combien de temps nous faudrait-il pour réunir tous les documents de prévention, d’hygiène et de sécurité si la CRAM nous en demande communication ?
SIRH, bases de données, fichiers Excel, Word, messagerie, smartphone, serveurs, Share point, documents papier : comment qualifier l’environnement informationnel soutenant les données engageantes RH ?
En quelques années, le service du personnel garant de la masse salariale est devenue une direction des ressources humaines avec un réel renforcement des missions de développement au niveau du système d’information, de la formation, de l’évaluation et des référentiels de compétences, de la prévention des risques, des contrôles et des actions liés à la sécurité des personnels. De fait, la prise en compte de l’archivage en tant qu’assurance informationnelle couvrant des risques devient un enjeu de performance et de pérennité pour les DRH. Savoir conserver et gouverner la bonne information (archiver/détruire/tracer), est gage de conformité réglementaire. C’est aussi une réponse à l’explosion de la production des données numériques, et aux couts afférents.
Au regard des exigences de qualité de service, de sécurité et d’économie propres aux organisations aujourd’hui, une capture et conservation ciblée des données engageantes et la destruction de celles qui sont superflues, voire illégales, apparaitra aux décideurs sous un nouvel éclairage : l’accès fiable et rapide à la bonne information dans le temps est stratégique. Le retour sur investissement se mesure entre d’une part le coût d’un projet d’archivage managérial, SAE compris, et d’autre part les coûts évités des amendes, contentieux ou procès, les dommages médiatiques contournés d’une défaillance informationnelle et les bénéfices opérationnels d’une organisation documentaire performante : gain d’un stockage maîtrisé des données, économie de maintenance, performance métier.
Prenons le cas du Document unique d’évaluation des risques,
réglementé depuis le 7 novembre 2002 par le Code du travail. Dans sa définition même, il s’agit d’un document descriptif d’états successifs et d’actions engagées dans le temps : à cet égard il peut illustrer la nouvelle nature d’un document engageant. Il s’agit certes de prouver un fait, une action à un instant T, mais plus encore de tracer une temporalité d’événements, d’états, d’actions. Autrement dit, le contexte même de l’action ou de la décision doit être consigné, tracé : la loi demande de faire un état, de prendre des mesures appropriées en fonction de cet état, de tenir compte des aléas du réel et d’en organiser les améliorations relatives. On peut voir dans la rédaction de cette loi une analogie avec la roue de Deming, méthode Qualité connue sous le nom de PDCA, Plan, Do, Check, Act. Plan (préparer) ; do (faire) ; check (contrôler) ; act (ajuster).
Si la loi laisse l’employeur libre de la forme adoptée pour réaliser le document unique, le contenu même du texte ne nous invite-t-il pas à élaborer un processus documentaire authentique, fiable, intègre et exploitable ? A faire et a archiver la trace du faire dans geste concomitant, ceci au fil du temps ? A mettre en œuvre un système documentaire qui capitalise les pratiques ou les décisions au niveau de l’entreprise ?
Dans beaucoup d’organisations à ce jour, le Document unique est élaboré à partir de fichiers Excel en croisant les tableaux de signalement (rempli comme suite à une décision d’acquisition d’un nouvel appareil, d’une nouvelle machine, etc) et les tableaux de fiches d’exposition individuelles à un risque. Le Document unique génère lui-même un tableau de pénibilité, réglementé depuis 2010 dans le cadre de la réforme des retraites. Ils sont élaborés sous la responsabilité d’un responsable Qualité de vie au travail ou Prévention, hygiène et sécurité qui est souvent le seul à avoir et opérer la mémoire d’une vision globale qui n’est pas formalisée au niveau Entreprise. Qu’en serait-il s’il devait quitter la société ? Quelles règles appliquait-il pour les données à caractère personnel directes et indirectes ? Comment faire face au volume croissant des données dans ces fichiers ? Comment sécuriser la mise à jour des données avec ces fichiers croisés, habiles, mais peu pratiques ? Un SAE, via la constitution et la capture d’objets numériques, permettrait ici l’enregistrement fiable, daté et la conservation intègre, pérenne et exploitable de ces données engageantes dont la constitution est dictée par une réglementation forte. Une procédure de gestion validée au niveau Entreprise viendrait formaliser le dispositif.
Le dossier du personnel : penser la gestion numérique
72 % des DRH attendent un accès permanent aux documents RH archivés électroniquement, selon SIA Partners, citant une étude Markess de 2011 : les gains chiffrés sont estimés entre 9 k€ et 800 k€, selon la taille des sociétés et les documents concernés. Un dossier du personnel dématérialisé est plébiscité.
Prérequis non négociable pour articuler un tel projet : le penser au niveau de l’organisation. Concrètement, ne pas calquer au numérique le mode de gestion papier : on oubliera ainsi la distinction entre gestion courante et gestion intermédiaire, inopérante dans un contexte moderne. Une gestion numérique efficiente via un SAE permet par contre de créer plusieurs sous dossiers virtuels pour un individu en fonction de la durée de conservation des données, de déterminer un niveau de service (débit par exemple) en fonction de la fréquence de consultation et un niveau de sécurité selon la criticité de l’information conservée ou encore d’automatiser le processus de destruction des données devenues inutiles ou dangereuses. En ce sens, le classement adopté résultera d’une analyse portant sur la valeur des documents (contenu, durée de vie). Les exigences de capture et de conservation des données seront guidées par deux principes : d’une part la traçabilité d’un fait ou d’un état, d’un acte, d’une décision, d’une relation, d’une instruction et de ses pièces justificatives, et d’autre part la détermination de l’événement déclencheur de la capture.
Les 6 types de documents engageants définis par le groupe de recherche internationale INTERPARES pourront aider à cadrer ce travail d’identification : The International Research on Permanent Authentic Records in Electronic Systems a déterminé 6 types de documents engageants : « dispositive », « probative », « instructive », « narrative », « supporting », « enabling » ( http://www.interpares.org/ip2/ip2_terminology_db.cfm).
Là aussi, un meilleur accès à l’information au meilleur cout passe par une étape de réflexion pragmatique des enjeux combinant à la fois une exploitation efficace des atouts d’un support et une analyse des besoins des métiers et de l’entreprise en matière d’accès à l’information et à son contexte de production.
Manager les risques et archiver : un projet moderne et transversal
Le succès d’un projet d’archivage managérial/gouvernance de l’information est étroitement lié à l’engagement et à la responsabilisation à tous les niveaux de l’organisation : sponsor, encadrement et personnel. Seul un projet suffisamment orienté métier/business saura être compris dans ses enjeux et bénéfices, individuels et collectifs. Seules des procédures simples et explicitement utiles sauront être appropriées, applicables et appliquées : le geste d’archivage indispensable, s’il doit être accompagné au mieux par l’automatisation de processus, doit clairement être associé à un gain de temps pour l’utilisateur dans son besoin d’information.
Une méthodologie de projet transversale sera privilégiée, avec des groupes de travail pouvant inclure avec l’ensemble des métiers concernés, l’informaticien, le juriste, le financier, le records manager. Le contour du projet doit inclure, à partir des règles établies, l’ensemble des aspects opérationnels : rôles, fréquence de capture et formats, classement et métadonnées, faisabilité technique, points de contrôles, fonctionnement des ajustements, communication, etc.
Parce que l’archivage à l’ère numérique nécessite une intervention en amont pour capturer, qualifier et tracer les données, parce qu’il nécessite une autre appréhension du temps dans les organisations (en perdre un peu à court terme pour en gagner beaucoup sur 3/5 ans), et une dimension de projet au niveau Entreprise, transversale et collective, les projets d’archivage au sens où nous l’avons entendu ici (maîtrise des risques, agilité métier, économies de stockage et de maintenance), rejoindront peut être d’autre enjeux modernes tels qu’ils sont décrits par Jean-Pierre Hureau, expert des organisations apprenantes : « Le sens que chacun va trouver dans son travail passe par l’action de chacun.(…) Il faut pour cela amener un autre regard sur le temps pour rééquilibrer les choses. A vouloir gagner du temps, on en perd à ne pas co-créer ensemble. (…) La finalité des réseaux apprenants, c’est le sens, l’engagement des collaborateurs et la performance de l’entreprise même s’il n’y a pas de livrables car le plus important, c’est la mise en oeuvre des solutions et leur appropriation. » Aux RH de montrer la voie ?
Bien d’autres pistes sont à exploiter pour un records management moderne RH. Etonnamment absent des leviers traditionnels de management en entreprise alors que l’image et le son sont omniprésents dans la vie moderne, les DRH tireraient par exemple bénéfice à organiser des collectes audiovisuelles et à les exploiter dans le cadre de la gestion des compétences. Beau travail que de rendre visible les métiers et audible le terrain… Nous y reviendrons.