L’association eFutura organise chaque année sa Journée de la Transition Numérique. Celle de cette année, tenue le 12 octobre, était consacrée à l’Intelligence Artificielle. Le président de l’association, dans son introduction, a rappelé que le choix du sujet avait été fait fin octobre 2022, donc avant que le lancement de ChatGPT n’accapare la scène médiatique. Dans un contexte général où tout le monde parle de l’IA et pour la plupart sans réellement comprendre ce que c’est, cet évènement, constitué de deux longues tables rondes de 2 heures chacune réunissant des experts, a été particulièrement intéressant. Et même si l’archivage n’était pas dans l’ordre du jour, le thème de la transformation numérique est tellement au cœur du métier des responsables d’archivage qu’un billet sur le sujet a bien sa place sur le blog du CR2PA.
Il n’est pas question ici de se lancer dans un compte-rendu complet d’une réunion aussi riche. Vous trouverez la liste des participants et la captation intégrale des débats sur le site eFutura : https://www.efutura.fr/huitieme-journee-de-la-transition-numerique-efutura/ Mon propos ici est plutôt de restituer quelques phrases clés retenues dans les débats.
La 1ère table ronde portait sur « Une technologie aux applications illimitées »
Qu’est-ce que l’Intelligence Artificielle ?
Il y a unanimité parmi les participants : l’IA n’est pas intelligente. Le terme d’« intelligence » n’est pas approprié, crée du fantasme et fausse la compréhension de ce que c’est ; il a été créé pour des raisons marketing, c’est un choix malheureux mais il est maintenant installé depuis plusieurs dizaines d’années et on ne peut pas envisager de revenir en arrière.
Un peu en vrac :
- Ça n’est pas intelligent, ça n’est que de l’imitation de nos capacités de perception, de raisonnement et de production d’information.
- C’est une copieuse avec une capacité de calcul très supérieure à la nôtre.
- Tant qu’on n’a pas compris que c’est du programme informatique on est dans le fantasme.
- IA devrait signifier « Informatique Avancée ».
- Il faudrait plutôt parler des
- Les fondamentaux algorithmiques existent depuis très longtemps ; ce qui est nouveau c’est qu’on a la puissance de calcul et l’accès à des masses de données aspirées sur les sites Internet publics.
- L’IA ne sera jamais plus « intelligente » que les données qu’on lui fournit en apprentissage.
Et l’IA générative ?
C’est l’IA qui crée des contenus. L’irruption de ChatGPT sur la scène médiatique a focalisé l’attention sur ce type d’IA, et même dans ces échanges entre experts avertis il arrive qu’on ait du mal à discerner si on parle de l’IA en général ou de l’IA générative en particulier.
Quelques idées fortes :
- Tout le monde peut l’utiliser, il n’y a pas besoin d’être mathématicien.
- Il faut « lever le capot » : comprendre comment ça marche pour bien l’utiliser.
- C’est comme pour un médicament : il faut comprendre comment bien l’utiliser, et éduquer les enfants dès l’école sur la bonne utilisation.
- Un exemple dans une formation de MBA : au lieu de faire la chasse aux étudiants qui utilisent l’IA générative, on leur impose de l’utiliser, mais en concentrant le travail sur leur méthodologie d’utilisation.
- L’IA générative crée du texte à partir des associations de mots entre eux, dans une démarche statistique à partir des données d’apprentissage : quel va être le mot suivant ? C’est de l’imitation sans besoin de comprendre.
- ChatGPT n’est pas capable de donner ses sources.
- Quand elle a des trous dans ses réponses, elle invente des « hallucinations ».
Quels impacts sur les métiers ?
- Sur l’impact sur l’emploi les études ne sont pas convergentes : génération de chômage, ou transfert sur de nouveaux emplois ?
- La calculatrice n’a pas tué le métier des comptables.
- L’IA générative est porteuse de gains de productivité énormes, à condition de savoir maîtriser les hallucinations.
- L’IA ne va pas vous piquer votre job, mais celui qui sait l’utiliser mieux que vous va le faire.
- Pour un médecin expérimenté l’IA peut apporter une super aide au diagnostic, pour des jeunes cela risque d’être une « boîte noire » non maîtrisée : il faut organiser un travail en équipe construit sur une expérience mutualisée.
Sans les données, l’algorithme n’est rien
- L’IA n’est pas « neutre », elle véhicule des idées par les données qu’on lui a fournies : 80% en anglais, avec une sur-représentation d’une culture occidentale et masculine ; il y a un risque de « macdonaldisation de la pensée ».
- Il faudra apprendre à maîtriser les biais des données du passé : toutes les données ont des biais, il faudra savoir les corriger pour éviter de générer des injustices en les reproduisant dans les résultats des traitements.
- La revanche des spécialistes de GED et d’archivage : l’exploitation des données s’étend maintenant aux données non structurées, et votre compétence pour choisir, qualifier, classifier les données vous donne un rôle essentiel dans la gouvernance à mettre en place par les entreprises.
Réglementation et innovation
- Le message « la réglementation tue l’innovation » vient de ceux qui veulent le Far West.
- La question de la compétitivité européenne ne tient pas à la réglementation mais à l’investissement. On cite des investissements en centaines de M€ qui n’ont rien à voir avec les budgets de R&D des GAFAM.
- C’est un choix de société : on veut l’humain au centre, ou la technologie et le marché au centre ?
- Qui veut des normes ? Les Chinois et les US, car c’est comme cela qu’ils vont attaquer le marché.
- La confiance repose sur 4 briques :
- Le socle c’est la compétence. Beaucoup de politiciens parlent IA sans comprendre, cela les rend vulnérables au lobbying.
- La réglementation : c’est la loi – par exemple on veut une IA robuste
- Le normatif : les décrets d’application de la loi – comment on caractérise la robustesse
- La norme sociétale, les attentes, les principes, l’éthique
Et sur ce mot d’« éthique », à suivre pour le compte-rendu de la 2ème table ronde.
Bruno Lalande
Président du CR2PA