Au cours des dernières décennies, notre production documentaire a connu une formidable mutation. De papier, nos documents sont devenus numériques. Cette révolution technologique nous a permis de produire toujours plus. Mais, avec elle, s’est posée la question de la conservation pérenne de nos documents. Car, s’il n’est plus à prouver que nous maîtrisons la conservation à très long terme du papier, tout reste à faire quand à la conservation du document numérique. Les incertitudes sont légion et les débats entre spécialistes vont bon train.
Charles KECSKEMÉTI et Lajos KÖRMENDY se sont penchés sur le sujet dans leur ouvrage Les écrits s’envolent, la problématique de la conservation des archives papier et numériques, paru en Suisse (Favre) en septembre 2014.
Je vous propose dans les prochains billets d’extraire pour vous la substantifique moelle de ce livre qui fait déjà référence dans le milieu de l’archivistique. Une occasion de vous sensibiliser à la question de la conservation pérenne de vos documents numériques, aux solutions à mettre en œuvre pour tenter de la garantir et permettre ainsi à l’entreprise de se prémunir des risques associés au « mal archivage ».
Les 4 fonctions fondamentales des archives
Il est ici nécessaire de rappeler que nous ne conservons pas pour le plaisir de conserver, mais pour répondre à des fonctions fondamentales. Ainsi tous les documents que nous produisons ne sont pas voués systématiquement à devenir des archives. Connaître les 4 fonctions fondamentales des archives est un premier pas pour nous aider à décider de conserver ou d’éliminer un document.
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Ces 4 fonctions sont:
- la fonction administrative/pratique : elle permet aux organisations d’exercer leur activité au fil du temps et des générations ;
- la fonction de garantie des droits : elle permet aux organisations d’exercer ou de faire exercer leurs droits ;
- la fonction de recherche : elle permet aux chercheurs d’assoir les réponses aux questions qu’ils se posent ;
- la fonction culturelle/patrimonial : elle permet aux organismes de se construire une histoire.
Un document d’archives peut répondre à une ou plusieurs de ces fonctions, en même temps ou à des moments différents de sa vie d’archives.
La valeur attribuée à chacune de ces fonctions peut s’atténuer pour l’une tandis qu’elle croît pour une autre.
Ainsi l’évolution de ces valeurs d’archives peut se définir comme suit :
La valeur administrative/pratique d’un document diminue dès que la transaction est close. Sa durée est variable. Si un ticket de caisse perd sa valeur pratique quasiment après le passage en caisse, la valeur pratique de la composition du Coca-Cola, tenue jalousement secrète, est toujours aussi forte aujourd’hui. Au-delà de ces extrêmes, la tendance typique est celle d’une diminution rapide de la valeur administrative/pratique des documents sans pourtant ne jamais devenir nulle.
La valeur probante. Comme la précédente, elle est variable mais moins sujette à la subjectivité puisque définie clairement par la loi qui stipule les délais de prescriptions pour chaque type d’affaires.
La valeur historique. C’est l’importance que l’utilisateur attribue à l’information contenue dans le document par rapport à la connaissance du passé. Généralement, cette valeur indiffère le producteur qui produit ses documents à de seules fins pratiques ou juridiques. La rareté d’un document augmente sa valeur historique qui augmente donc avec le temps. Eminemment subjective, elle varie en fonction de l’échelle de valeur que lui accorde la société et dépend des effets de mode. Ainsi à l’heure de l’engouement de notre société pour la généalogie, les registres paroissiaux ont vu leur valeur historique exploser en quelques années. La valeur historique peut aussi varier en fonction de besoins politiques, pour appuyer une idéologie par exemple. L’évolution de la science est également un facteur d’évolution de la valeur historique. Il y a un siècle, la valeur historique des relevés météorologiques allant de pair avec l’intérêt porté à l’évolution du climat était encore quasi nulle tandis qu’aujourd’hui elle est devenue un sujet phare de l’actualité.
Les défis des archives
L’évolution de l’informatique a connu trois périodes principales dont la construction rappelle étrangement le « thèse, antithèse et synthèse » de notre construction rédactionnelle :
- la première période, de 1943 à 1980 : c’est l’époque des grands ordinateurs centraux qui gèrent de grandes bases de données (la thèse) ;
- la deuxième période, de 1981 à 1995 : c’est l’époque des PC et l’avènement des documents bureautiques. Les données se décentralisent sur des millions d’ordinateurs (antithèse) ;
- la troisième période, depuis 1995 : c’est la révolution de l’Internet qui relie les données décentralisées (la synthèse) et c’est l’apparition de la mobilité en 2007, avec l’iPhone. Avec l’Internet, l’archivage de la parole humaine, sous forme de textes, images et sons, devient possible via les messageries instantanées, les mails, les réseaux sociaux. Ce qui ne va pas sans soulever la question du problème des données personnelles.
Avec la numérisation de la mémoire humaine, facilitée par la démocratisation des outils de production devenus mobiles, le nombre de données explose.
La conservation pérenne de cette multitude d’informations électroniques ne va pas sans difficultés. Car il faut appréhender 4 nouveaux facteurs, inconnus dans le monde du papier et source des principaux changements de l’archivistique aujourd’hui :
- le document électronique n’a pas d’aspect physique ;
- sa structure diffère de celle de l’archive papier et dépend de la technologie ;
- il est facile de le créer, de le modifier, de le multiplier, de le supprimer ;
- la quantité de documents produits explose (pour les 3 premières raisons).
Il s’agit donc là de véritables défis à relever pour envisager sereinement la conservation pérenne à long terme : Quel sera l’outil de lecture ? Quels seront les outils et supports qui existeront ? Ces 2 questions à elles seules suffisent pour entrevoir comme exigence la nécessité d’une standardisation des pratiques d’archivage.
À suivre : Éléments constituant du document d’archive et métadonnées.
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