CM : J’étais professeur à l’Université de Strasbourg. Suite à la fusion des trois universités, au début de 2009, j’ai été nommée vice-présidente en charge de la politique numérique, un poste tout à fait nouveau dans l’université française. Mon rôle était de définir la stratégie numérique de l’université, de suivre les projets et de superviser les deux directions en charge de leur réalisation : direction informatique et direction des usages du numérique.
Au printemps 2013, Geneviève Fioraso, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche, m’a nommée chargée de mission France Université Numérique. La mission consistait à définir la stratégie numérique de l’enseignement supérieur pour les quatre années à suivre. Une des premières actions menée dans le cadre de cet agenda numérique a été la mise en place d’une plateforme mutualisée de MOOC pour les établissements d’enseignement supérieur.
Plusieurs technologies permettaient de mettre en ligne des MOOC à cette époque mais l’opinion des experts français du domaine était que ces technologies n’étaient soient pas très adaptées, soit encore en développement et qu’il fallait attendre une technologie plus mature, pour mettre en place une plateforme mutualisée. L’événement déterminant a été, le 1er juin 2013, la mise à disposition du logiciel libre Open edX par le consortium fondé par l’Université de Harvard et le MIT (Massachusetts Institute of Technology). Tous les experts se sont saisis du code et l’ont testé, préconisant de retenir cette solution logicielle pour la plateforme de MOOC. Quinze jours plus tard, la ministre validait ce choix et le projet de plateforme FUN était lancé.
Malgré les lourdeurs des processus publics et la période estivale, une équipe s’est mise en place et a travaillé tout l’été, impliquant l’INRIA pour le logiciel, le CINES, Renater, deux start up et des universitaires pionniers sur le sujet, et bénéficiant de l’appui du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) qui nous a permis de mettre en place une assistance à maîtrise d’ouvrage rapidement (incluant des consultants de CapGemini). La réunion de lancement a eu lieu le 12 juillet ; le 2 octobre 2013, la ministre lançait FUN avec 25 MOOCs dont les inscriptions étaient ouvertes dès octobre pour un démarrage des cours en janvier 2014.
Question 1. Le phénomène MOOC s’accélère (le nombre d’inscriptions sur FUN dépasse aujourd’hui les 830 000). Est-ce que l’Université numérique est une université populaire, une université numérique ouverte ? L’Université numérique ne dépasse-t-elle pas les frontières de l’université ? Y a-t-il une volonté de donner une deuxième chance à ceux qui n’ont pas pu étudier ou qui veulent changer d’orientation, se former au et via le numérique ?CM : Le MOOC est clairement un révélateur du fait que le numérique impacte l’enseignement supérieur et la formation comme il a impacté d’autres domaines (la musique, l’édition..). Mais les universités françaises n’ont pas découvert l’importance du numérique avec les MOOCs. Il y a longtemps qu’en France et ailleurs, on fait de la formation à distance en utilisant des plateformes pédagogiques (LMS – learning management system). Dix-huit mois après l’arrivée des MOOCs en France, ils sont un facteur d’accélération de la prise de conscience des Universités, que la transformation numérique est nécessaire..
Ainsi, les présidents d’universités et leurs équipes prennent conscience que la transformation des formations avec et par le numérique est un enjeu stratégique.
De même les enseignants s’approprient ces nouveaux sujets, remettent en cause leurs pratiques pédagogiques et pour beaucoup les font évoluer en intégrant les outils numériques à leur disposition aujourd‘hui.
Le numérique et les MOOC conduisent à une transformation du métier d’enseignant : ce n’est plus un enseignant seul mais une équipe aux compétences multiples qui se constitue pour construire des MOOC : ingénieurs pédagogiques, experts audiovisuels, chef de projet, community manager pour animer les forums.
Sur le plan du public, le MOOC se révèle une opportunité incroyable pour les non-étudiants. En effet les personnes de la tranche d’âge 18-25 ans ne représentent que 17 % des inscrits sur FUN. Les 25-50 ans constituent la plus grosse part avec 61% des inscrits.
On note un nombre non négligeable de demandeurs emplois ou de personnes sans activité. Il y a également beaucoup d’étrangers, notamment africains (15%).
Question 2. On parle de manière récurrente du lien qui existe, ou qui n’existe pas, entre l’université et l’entreprise. À propos d’autres MOOC, on dit que l’université s’ouvre vers la société. Le MOOC « Bien archiver : la réponse au désordre numérique » produit par le CR2PA en partenariat avec l’Université de Paris Ouest Nanterre est un succès et un exemple de coopération Université – monde de l’entreprise. Y a-t-il d’autres exemples ? Encouragez-vous ces partenariats ? Sous quelle forme ?CM : Le MOOC « Bien archiver : la réponse au désordre numérique » sur l’archivage managérial est une très belle illustration d’une collaboration réussie entre des universitaires et des experts métier. Et la participation active de nombreux professionnels de l’archivage montre bien l’intérêt de ce MOOC pour des besoins de formation continue. Les universités ont un rôle à jouer dans la formation tout au long de la vie. D’ailleurs la loi de 2013 sur l’enseignement supérieur ajoute aux missions de l’université celle de la formation continue. Dans de nombreux secteurs, la formation continue est d’autant plus riche qu’elle combine une approche universitaire et une approche métier, et intègre au côté des universitaires des experts métiers qui apportent leur savoir-faire et leur expertise pour enrichir l’enseignement.
Plusieurs MOOCs ou projets de MOOC associent dans l’équipe pédagogique des universitaires et des experts métiers, ou intègrent dans le MOOC des témoignages d’entreprise, de spécialistes de terrains, comme par exemple des avocats sur certains MOOC de droit.
Question 3. Le nombre de MOOCs proposé, notamment par FUN, connaît, comme le nombre d’inscrits, une croissance très forte. Avez-vous dressé une cartographie des MOOCs ? Selon quels critères ? Comment gérer le nombre et la qualité, la popularité et la diversité ?CM : C’est une bonne question.
FUN ne crée pas de MOOC. FUN une structure modeste (12 personnes dont une moitié d’ingénieurs en charge de la plateforme) qui est au service de la politique éditoriale des établissements d’enseignement supérieur et des écoles, qui produisent les MOOC C’est donc l’université ou l’école qui est responsable de la qualité du MOOC. Pour accompagner les établissements dans la conception des MOOC, l’équipe FUN met à disposition des équipes un guide méthodologique, des fiches de procédure, des fiches pratiques, etc. Nous avons déjà formé plus de 350 personnes dans le cadre de FUN.
L’engagement qualité figure dans la convention signée entre FUN et l’université. L’équipe FUN valide tous les teasers et tous les syllabus, mais l’éditorialisation du MOOC est sous la responsabilité de l’établissement.
Nous avons un regard transverse sur l’ensemble des MOOCs qui nous permet de repérer les bonnes pratiques et de les diffuser, avec travers des séminaires, des retours d’expériences, la rédaction de nouvelles fiches pratiques, etc.
Question 4. Le MOOC offre de la connaissance, gratuitement sur le web, comme Wikipédia. La différence est qu’un MOOC se déroule dans un temps restreint et fixé d’avance, un à deux mois. Certains réclament que tout soit à disposition tout le temps afin qu’on puisse se servir à la demande. Qu’est-ce qui justifie le plus pour vous le maintien de cette fenêtre temporel du MOOC : créer un événement, permettre les échanges sur les forums, préserver l’unité du MOOC et la valeur ajoutée de sa construction progressive ?CM : Un MOOC est un cours et un cours c’est une rencontre et des échanges entre un professeur et des apprenants. Avec le MOOC, la rencontre est virtuelle et les échanges sont portés par le forum, les rendez-vous synchrones, les activités sociales.
Il ne faut pas confondre un MOOC – un cours – avec des ressources en ligne. Ceux qui souhaitent pourvoir accéder à un MOOC de façon continue, sont dans une logique d’accéder aux ressources du MOOC (les vidéos, les quizz, les documents à disposition par le professeur) que de participer à un cours.
Dans un MOOC, la notion de début et de fin est importante. Pendant la période du cours, il y a des échange virtuels entre le professeur et les élèves, des discussions des élèves entre, un travail de groupe, une évaluation entre pairs, etc. Ce sont des semaines intenses pour le professeur, il ne peut le faire en permanence. Cela dit sur FUN, lorsque le MOOC est terminé, tout apprenant qui s’y était inscrit continue d’avoir accès aux contenus.
Certains professeurs sollicités pour une réutilisation d’un morceau de leur MOOC répondent qu’ils l’ont construit comme un cours, comme un tout, et ne sont pas favorables à son morcellement.
La question du taux de rétention (combien d’apprenants vont jusqu’au bout) n’est pas forcément une bonne question. Cela dépend de ce que les apprenants sont venus chercher dans le MOOC. Chacun s’inscrit sur un MOOC avec des motivations et des attentes qui lui sont propres et qui peuvent d’ailleurs être différentes d’un MOOC à l’autre.. Le MOOC de Philosophie par exemple, a attiré 17000 personnes à l’automne 2013, mais tous n’avaient pas l’intention de devenir philosophes ! Le MOOC « Du manager au leader », a attiré 26000 inscrits dont beaucoup cherchaient à renforcer leurs compétences managériales dans une perspective d’évolution professionnelle.
Question 5. Pour l’apprenant, avoir une certification pour les connaissances acquises lors d’un MOOC semble très important. C’est la question de la certification qui est posée. FUN ne délivre aujourd’hui qu’une attestation de suivi. Pour le MOOC « Bien archiver… » 40% des répondants au questionnaire d’évaluation du MOOC (468) ont coché la case « Je vais ajouter le MOOC à mon CV »… Que faut-il en conclure ? Quelles sont les parts respectives du besoin de reconnaissance et la demande de certification ?CM : L’équipe FUN a réalisé une enquête auprès des inscrits en mai 2014, à l’issue des 36 premiers MOOCs. À la question : « Souhaitez-vous une attestation ? » 50% ont répondu « oui » ; sur les 500 demandeurs emploi du panel, le taux monte à 66%, et il est de 82 % pour les internautes Africains. L’enjeu de la valorisation des connaissances et des compétences acquises dans un MOOC est donc crucial, particulièrement dans le contexte de la formation professionnelle.
FUN délivre aujourd’hui des attestations de suivi de fin de MOOC, mais n’a pas encore mis en place le dispositif nécessaire pour établir des certifications. Nous avons réalisé des expérimentations avec quelques MOOC pilotes et prévoyons de généraliser le dispositif à l’automne 2015.
Question 6. Comment voyez-vous FUN dans trois ans ? Quelle est la stratégie de développement de FUN ? Développer le rôle sociétal du MOOC ? Canaliser vers l’université ? Institutionnaliser un nouveau mode d’enseignement ? Développer la formation continue ? Tout cela à la fois ?CM : C’est un peu tout cela, effectivement. Les MOOCs représentent un investissement important et catalysent les réflexions autour de l’évolution des pratiques pédagogiques, de la manière d’enseigner et des utilisations qui peuvent être faites de ces cours en ligne ouverts et massifs.
La première « réutilisation » des MOOC se fait sur les campus où les enseignants, utilisent le MOOC avec leurs propres étudiants dans le modèle de la classe inversée. Le cours magistral est remplacé par le MOOC que les étudiants suivent avant de venir en classe. Cela permet au professeur d’organiser différemment le temps de présentiel avec les étudiant, en revenant sur des notions difficiles, en introduisant davantage de travaux par projets, d’études de cas, etc.
La deuxième « réutilisation » des MOOC consiste à les utiliser pour développer la formation continue. C’est un sujet crucial pour les universités, source de nouvelles recettes.
L’objectif de FUN dans trois ans : une offre de MOOC riche et variée, un développement fort au niveau de la francophonie où les besoins et les attentes sont incontestables, un développement des MOOC à destination de la formation professionnelle, renforçant ainsi la place de l’enseignement supérieur dans ce domaine.